L'étude du cadastre napoléonien d'une commune est riche en enseignements archéologiques pour qui sait regarder. Nous allons nous pencher, à titre d'exemple, sur celui de la commune de Souain- Perthes-les-Hurlus dans la Marne.  
 
Dans un premier temps, il faut le retrouver;, s'il n'est plus en mairie il est sûrement aux archives départementales. Napoléon a fait cadastrer toutes les parcelles de terre de la France dans le but de percevoir équitablement l'impôt. Cette opération s'est déroulée vers les années 1810- 1840. Depuis, les cadastres ont été modifiés une ou deux fois par les remembrements agricoles et à la suite d'aménagements (TGV, Autoroute). Il va donc nous falloir superposer ces deux plans ou prendre des points de repère pour se localiser.  
 
Il faut d'abord se faire une idée du plan d'ensemble des différentes feuilles qui composent le plan de la commune (10 à 20). D'avoir la logique de l'implantation des parcelles, en général, les champs ont un axe défini, rayonnement depuis le village, perpendiculaires à l'axe des plissements du terrain ou bien suivant les courbes de niveau. Toute anomalie à la logique est à vérifier.  
 
 
 


 
 
Le cimetière mérovingien du Mont de la Garde fouillé au 19e siècle apparaît nettement ici, une confirmation sur le terrain grace à la présence d'ossements va permettre de le localiser avec précision.  
 
 
 
 
 
 
 
 
Première piste de recherche : les chemins  
 
En principe ils rayonnent par rapport au lieu d'habitation, si l'on trouve un rayonnement par rapport à un point sur le territoire, on doit se poser la question d'un habitat (Ferme ou village disparu). Si un chemin arrive au milieu d'une parcelle, pourquoi? qu'elle est son utilité ? Les chemins les plus anciens vont se détacher du paysage, même s'il n'existe plus depuis longtemps. Les outils agricoles chaque année en retournant au bout du champ (charrue, herse), déposent une pellicule de terre de 2mm environ, 2000 ans x 0.02= 4 mètres moins l'érosion des élévations, ils reste donc une hauteur de 0,50 à 1 mètre. Les vieux chemins, par exemple une voie romaine ou gauloise, sont encore bien présents et marqués, même si leur disparition date de plus de mille ans.  
 
 
 
 
 
Un chemin en cul-de-sac qui aboutit à l'intérieur  
d'une parcelle trouve sa signification en 1993 lors  
de l'observation aérienne d'un enclos circulaire 
avec une grosse tombe en son centre (probablement 
une tombe à char). Ce chemin n'avait pour but 
que d'aller à cette tombe, il a perduré pendant des  
siècles, même après la disparition visuelle de  
cette nécropole.  
 
 
 
 
 
Deuxième piste : le sens des champs 
 
Si plusieurs parcelles se trouvent axées perpendiculairement au parcellaire et découpées dedans, il faut les localiser sur le terrain actuel. Puis chercher à comprendre s'il y a une raison particulière (topographique ou autre) à ce positionnement. Si le nom de la contrée rappelle une construction, on a là son lieu d'implantation, une prospection de surface apportera peut-être la preuve de son existence (pierres, tuiles, poteries).  
 
 
 
 
Un chemin en cul-de-sac partant du village et aboutissant sur des champs perpendiculaires à l'axe logique, laisse supposer la présence d'un espace fonctionnel. La vérification de terrain donnera quelques morceaux de tuiles pilées pouvant attester la présence d'une construction peu importante. (ferme en torchis ou bois?) L'observation annuelle des cultures permettra peut-être de discerner les traces d'un habitat dans l'avenir.  
 
 
 
 
 
Troisième piste : Les noms des lieux-dits  
 
L'étude des noms des lieux-dits va nous apporter de sérieuses présomptions sur l'utilisation du lieu ou d'un endroit précis. Sur un cadastre, il y a plus de cent noms différents. Exemple, la commanderie, le château, la châtellerie, le châtelet vont positionner une fortification. La garde, le mont de la garde, des tours de gardes sur le territoire, du Moyen Ages à la guerre de Cent ans. La motte, la tomme, la tommelle : des cimetières gaulois etc..  
 
 
 
 
 
 
 
Le village de Bouclenay disparu pendant les  guerres de la Frondre était connu de nom,  il se trouve localisé facilement par le plan où  l'on découvre aussi le château et le cimetière.  
 
 
 
 
 
 
 
 
Cette parcelle désaxée répondant 
du nom de " La Garde " et située 
sur une hauteur, positionne une 
fortification d'observation.  
 
 
  
Quatrième piste : les élévations de terrain.  
 
Toute élévation ou creusement du terrain en dehors de son contexte naturel fera supposer l'intervention de l'homme. Les creux sont le signe de carrières de craie, de sable ou de carreaux de terre. Les élévations, même minimes (50cm) sont à prendre au sérieux, un carottage jusqu'au substrat apportera la preuve d'un apport artificiel de terre (tumulus, tour, château ). Ne pas oublier que sur deux mille ans une érosion de 2mm par an sur une butte, la réduit de 4 mètres. Les élévations en bas de rivière supposent des passages, des gués, des ponts, des digues.  
 
 
 
 
 
 
L'observation sur le terrain et sur la matrice  
de ces petites parcelles supprime le doute  
de douves de château, pour leurs donner  
l'affectation de bassins pour l'élevage des  
poissons.  
 
 
 
 
 
 
 
Cinquième piste : la forme des parcelles.  
 
Les formes ou les tailles incongrues des parcelles dans leur contexte environnant font découvrir en bas de rivière des bassins à poissons, des roises, sur les hauteurs des moulins à vent, en plaine des fermes ou des villages.  
 
 
 
 
 
La présence de pierre et tuiles le long de cette voie romaine " Le Ferré " colle parfaitement à la surface de ces champs désaxés, nous avons là le plan d'un village gallo-romain. Sans doute le village recherché de " Basilia ".  
 
 
 
 
 
De mémoire d'homme, un village s'appelant 
" Jorrois " et disparu vers 1650, se trouvait 
dans le camp militaire, mais où ? La découverte 
d'un plan de 1770 d'une terre d'abbaye 
nommée " Anjorrois " et la présence sur la 
carte de Cassini d'une maison en ruine vers 
1760 permettent de localiser ce village.  
  
Ce plan s'emboîte comme la pièce d'un  
puzzle sur le cadastre de la commune.  
Un contrôle sur le terrain confirme, par  
la présence de tuiles, la position du  
village d'Anjorrois.  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le dessin d'un angle du cadastre du village nous informe de la présence d'une fortification particulière le long des remparts. Forme qui se reporte aux autres coins.  
 
 
 
 
 
 
  
 
 
Sixième piste : la matrice cadastrale  
 
Sur les matrices cadastrales sont portés le propriétaire et la nature de la terre ( terre, habitation, étang, lande, moulin, bois, carrière). Les mutations sur le changement de nature et de propriétaire, nous donnent l'évolution au fil du temps de l'utilisation de la parcelle, donc la date de construction ou de destruction. Au bout de cent ans, la mémoire collective étant effacée, on va donc découvrir dedans un autre paysage rural.  
 
 
Cette contrée appelée " le Moulin Mopineau "  
permet de localiser la position d'un moulin à  
vent dans cette pièce de terre qui se trouve  
sur une butte accessible par un chemin. La  
matrice confirmera la nature de la parcelle  
" Moulin " et le nom du propriétaire  
" Le meunier Mopineau ".  
 
 
 
 
 
 
  
 
 
 
Tout comme cet autre moulin inconnu dont le propriétaire possède également celui à eau.  
 
 
 



 
 
 
 
A travers ces exemples nous découvrons une autre manière de faire de l'archéologie. Une archéologie non destructrice, à la portée de tous, qui demande de l'observation et un sens logique. Elle est rarement affirmative, mais elle permet d'échafauder des pistes sérieuses de recherche qui ne pourront être confirmées que par une fouille de terrain.



 Fiche n°3

Auteur:
M. GODIN

Nov. 2003


LE CADASTRE NAPOLEONIEN